Le roi des animaux se mit un jour en tête
De giboyer : il célébrait sa fête.
Le gibier du lion, ce ne sont pas moineaux,
Mais beaux et bons sangliers, daims et cerfs bons et beaux.
Pour réussir dans cette affaire,
Il se servit du ministère
De l'âne à la voix de Stentor.
L'âne à messer lion fit office de cor.
Le lion le posta, le couvrit de ramée,
Lui commanda de braire, assuré qu'à ce son
Les moins intimidés fuiraient de leur maison.
Leur troupe n'était pas encore accoutumée
À la tempête de sa voix ;
L'air en retentissait d'un bruit épouvantable :
La frayeur saisissait les hôtes de ces bois,
Tous fuyaient, tous tombaient au piège inévitable
Où les attendait le lion.
"N'ai-je pas bien servi dans cette occasion ?"
Dit l'âne en se donnant tout l'honneur de la chasse.
- "Oui, reprit le lion, c'est bravement crié :
Si je ne connaissais ta personne et ta race,
J'en serais moi-même effrayé."
L'âne, s'il eût osé, se fut mis en colère,
Encor qu'on le raillât avec juste raison ;
Car qui pourrait souffrir un âne fanfaron ?
Ce n'est pas là leur caractère.
Compère le renard se mit un jour en frais,
Et retint à dîner commère la cigogne.
Le régal fut petit et sans beaucoup d'apprêts :
Le galand, pour toute besogne,
Avait un brouet clair : il vivait chichement.
Ce brouet fut par lui servi sur une assiette :
La cigogne au long bec n'en put attraper miette,
Et le drôle eut lapé le tout en un moment.
Pour se venger de cette tromperie,
A quelque temps de là, la cigogne le prie.
"Volontiers, lui dit-il, car avec mes amis,
Je ne fais point cérémonie."
A l'heure dite, il courut au logis
De la cigogne son hôtesse ;
Loua très fort sa politesse ;
Trouva le dîner cuit à point :
Bon appétit surtout, renards n'en manquent point.
Il se réjouissait à l'odeur de la viande
Mise en menus morceaux, et qu'il croyait friande.
On servit, pour l'embarrasser,
En un vase à long col et d'étroite embouchure.
Le bec de la cigogne y pouvait bien passer ;
Mais le museau du sire était d'autre mesure.
Il lui fallut à jeun retourner au logis,
Honteux comme un renard qu'une poule aurait pris,
Serrant la queue, et portant bas l'oreille.
Trompeurs, c'est pour vous que j'écris :
Attendez-vous à la pareille.
Dans ce récit je prétends faire voir
D'un certain sot la remontrance vaine.
Un jeune enfant dans l'eau se laissa choir
En badinant sur les bords de la Seine.
Le ciel permit qu'un saule se trouva,
Dont le branchage, après Dieu, le sauva.
S'étant pris, dis-je, aux branches de ce saule,
Par cet endroit passe un maître d'école ;
L'enfant lui crie : "Au secours, je péris."
Le magister, se tournant à ses cris,
D'un ton fort grave à contretemps s'avise
De le tancer : "Ah ! le petit babouin !
Voyez, dit-il, où l'a mis sa sottise !
Et puis, prenez de tels fripons le soin.
Que les parents sont malheureux qu'il faille
Toujours veiller à semblable canaille !
Qu'ils ont de maux ! et que je plains leur sort.
Ayant tout dit, il mit l'enfant à bord.
Je blâme ici plus de gens qu'on ne pense.
Tout baillard, tout censeur, tout pédant
Se peut connaître au discours que j'avance.
Chacun des trois fait un peuple fort grand :
Le créateur en a béni l'engeance.
En toute affaire ils ne font que songer
Aux moyens d'exercer leur langue.
Eh ! mon ami, tire-moi du danger,
Tu feras après ta harangue.
Un jour un coq détourna
Une perle qu'il donna
Au beau premier lapidaire.
Je la crois fine, dit-il ;
Mais le moindre grain de mil
Serait bien mieux mon affaire.
Un ignorant hérita
D'un manuscrit qu'il porta
Chez son voisin le libraire.
Je crois, dit-il qu'il est bon ;
Mais le moindre ducaton
Serait bien mieux mon affaire.
À l'œuvre on connaît l'artisan
Quelques rayons de miel sans maître se trouvèrent :
Des frelons les réclamèrent ;
Des abeilles s'opposant,
Devant certaine guêpe on traduisit la cause.
Il était malaisé de décider la chose :
Les témoins déposaient qu'autour de ces rayons
Des animaux ailés, bourdonnant, un peu longs,
De couleur fort tannée, et tels que les abeilles,
Avaient longtemps paru. Mais quoi ? dans les frelons
Ces enseignes étaient pareilles.
La guêpe, ne sachant que dire à ces raisons,
Fit enquête nouvelle, et pour plus de lumière,
Entendit une fourmilière.
Le point n'en put être éclairci.
"De grâce, à quoi bon tout ceci ?
Dit une abeille fort prudente.
Depuis tantôt six mois que la cause est pendante,
Nous voici comme aux premiers jours.
Pendant cela le miel se gâte.
Il est temps désormais que le juge se hâte :
N'a-t-il point assez léché l'ours ?
Sans tant de contredits, et d'interlocutoires,
Et de fatras et de grimoires,
Travaillons, les frelons et nous :
On verra qui sait faire, avec un suc si doux,
Des cellules si bien bâties"
Le refus des frelons fit voir
Que cet art passait leur savoir ;
Et la guêpe adjugea le miel à leurs parties.
Plût à Dieu qu'on réglât ainsi tous les procès :
Que des turcs en cela l'on suivît la méthode !
Le simple sens commun nous tiendrait lieu de code :
Il ne faudrait point tant de frais ;
Au lieu qu'on nous mange, on nous gruge,
On nous mine par des longueurs ;
On fait tant, à la fin, que l'huître est pour le juge,
Les écailles pour les plaideurs.
Le chêne un jour dit au roseau :
"Vous avez bien sujet d'accuser la nature ;
Un roitelet pour vous est un pesant fardeau ;
Le moindre vent qui d'aventure
Fait rider la face de l'eau,
Vous oblige à baisser la tête.
Cependant que mon front, au Caucase pareil,
Non content d'arrêter les rayons du soleil,
Brave l'effort de la tempête.
Tout vous est aquilon, tout me semble zéphyr.
Encor si vous naissiez à l'abri du feuillage
Dont je couvre le voisinage,
Vous n'auriez pas tant à souffrir :
Je vous défendrai de l'orage ;
Mais vous naissez le plus souvent
Sur les humides bords des royaumes du vent.
La nature envers vous me semble bien injuste.
- Votre compassion, lui répondit l'arbuste,
Part d'un bon naturel ; mais quittez ce souci :
Les vents me sont moins qu'à vous redoutables ;
Je plie, et ne romps pas. Vous avez jusqu'ici
Contre leurs coups épouvantables
Résisté sans courber le dos ;
Mais attendons la fin." Comme il disait ces mots,
Du bout de l'horizon accourt avec furie
Le plus terrible des enfants
Que le nord eût porté jusque-là dans ses flancs.
L'arbre tient bon ; le roseau plie.
Le vent redouble ses efforts,
Et fait si bien qu'il déracine
Celui de qui la tête au ciel était voisine,
Et dont les pieds touchaient à l'empire des morts.
Quand j'aurais en naissant reçu de Calliope
Les dons qu'à ses amants cette muse a promis,
Je les consacrerais aux mensonges d'Esope :
Mais je ne crois pas si chéri du Parnasse
Que de savoir orner toutes ces fictions.
On peut donner du lustre à leurs inventions :
On le peut, je l'essaie : un plus savant le fasse.
Cependant jusqu'ici d'un langage nouveau
J'ai fait parler le loup et répondre l'agneau ;
J'ai passé plus avant : les arbres et les plantes
Sont devenus chez moi créatures parlantes.
Qui ne prendrai ceci pour un enchantement ?
Vraiment, me diront nos critiques,
Vous parlez magnifiquement
De cinq ou six contes d'enfant
- Censeurs, en voulez-vous qui soient plus authentiques
Et d'un style plus haut ? En voici : Les Troyens,
Après dix ans de guerre autour de leurs murailles,
Avaient lassé les Grecs, qui par mille moyens,
Par mille assauts, par cent batailles,
N'avaient pu mettre à bout cette fière cité,
Quand un cheval de bois, par Minerve inventé,
D'un rare et nouvel artifice,
Dans ses énormes flancs reçut le sage Ulysse,
Le vaillant Diomède, Ajax l'impétueux,
Que ce colosse monstrueux
Avec leurs escadrons devait porter dans Troie,
Livrant à leur fureur ses dieux mêmes en proie :
Stratagème inouï, qui des fabricateurs
Paya la constance et la peine.'
- C'est assez, me dira quelqu'un de nos auteurs :
La période est longue, il faut reprendre haleine ;
Et puis votre cheval de bois,
Vos héros avec leurs phalanges,
Ce sont des contes plus étranges
Qu'un renard qui cajole un corbeau sur sa voix :
De plus il vous sied mal d'écrire en si haut style.
Eh bien ! baissons d'un ton. La jalouse Amaryle
Songeait à son Alcippe et croyait de ses soins
N'avoir que ses moutons et son chien pour témoins.
Tircis, qui l'aperçut, se glisse entre des saules ;
Il entend la bergère adressant ces paroles
Au doux zéphire, et le priant
De les porter à son amant.
- Je vous arrête à cette rime,
Dira mon censeur à l'instant ;
Je ne la tiens pas légitime.
Ni d'une assez grande vertu.
Remettez, pour le mieux, ces deux vers à la fonte.
- Maudit censeur ! te tairas-tu ?
Ne saurai-je achever mon conte ?
C'est un dessein très dangereux
Que d'entreprendre de te plaire.
Les délicats sont malheureux :
Rien ne saurait les satisfaire.
Un chat, nommé Rodilardus,
Faisait des rats telle déconfiture
Que l'on n'en voyait presque plus,
Tant il en avait mis dedans la sépulture.
Le peu qu'il en restait n'osant quitter son trou
Ne trouvait à manger que le quart de son soûl,
Et Rodilard passait, chez la gent misérable,
Non pour un chat, mais pour un diable.
Or, un jour qu'au haut et au loin
Le galand alla chercher femme,
Pendant tout le sabbat qu'il fit avec sa dame,
Le demeurant des rats tint chapitre en un coin
Sur la nécessité présente.
Dès l'abord, leur doyen, personne fort prudente,
Opina qu'il fallait, et plus tôt que plus tard,
Attacher un grelot au cou de Rodilard ;
Qu'ainsi, quand il irait en guerre,
De sa marche avertis, ils s'enfuiraient en terre ;
Qu'ils n'y savaient que ce moyen.
Chacun fut de l'avis de Monsieur le Doyen :
Chose ne leur parut à tous plus salutaire.
La difficulté fut d'attacher le grelot.
L'un dit : "Je n'y vas point, je ne suis pas si sot"
L'autre : "Je ne saurais." Si bien que sans rien faire
On se quitta. J'ai maints chapitres vus,
qui pour néant se sont ainsi tenus ;
Chapitres, non de rats, mais chapitres de moines,
Voire chapitres de chanoines.
Ne faut-il que délibérer,
La cour en conseillers foisonne ;
Est-il besoin d'exécuter,
L'on ne rencontre plus personne.
Un loup disait qu'on l'avait volé.
Un renard, son voisin, d'assez mauvaise vie,
Pour ce prétendu vol par lui fut appelé.
Devant le singe il fut plaidé,
Non point par avocat, mais par chaque partie,
Thémis n'avait point travaillé
De mémoire de singe à fait plus embrouillé.
Le magistrat suait en son lit de justice.
Après qu'on eut bien contesté,
Répliqué, crié, tempêté,
Le juge, instruit de leur malice,
Leur dit : "Je vous connais de longtemps, mes amis,
Et tous deux vous paierez l'amende ;
Car toi, loup, tu te plains, quoiqu'on ne t'ait rien pris
Et toi, renard, as pris ce que l'on te demande."
Le juge prétendait qu'à tort et à travers
On ne saurait manquer, condamnant un pervers.
Deux taureaux combattaient à qui posséderait
Une génisse avec l'empire.
Une grenouille en soupirait.
"Qu'avez-vous ?" se mit à lui dire
Quelqu'un du peuple croassant.
"- Eh ! ne voyez-vous pas, dit-elle,
Que la fin de cette querelle
Sera l'exil de l'un ; que l'autre, le chassant,
Le fera renoncer aux campagnes fleuries ?
Il ne régnera plus sur l'herbe des prairies,
Viendra dans nos marais régner sur nos roseaux ;
et nous foulant aux pieds jusqu'au fond des eaux,
Tantôt l'une, et puis l'autre, il faudra qu'on pâtisse
Du combat qu'a causé Madame la Génisse"
Cette crainte était de bon sens.
L'un des taureaux en leur demeure
S'alla cacher, à leurs dépens :
Il en écrasait vingt par heure.
Hélas, on voit que de tout temps
Les petits ont pâti des sottises de grands.